Les lieux
« Quand au hasard des jours, je m’en vais faire un tour à mon ancienne adresse … »
Il est de ces lieux marqués de notre histoire. Comme autant de petites « madeleines », que nous semons sur nos chemins pour ne pas oublier que nous avons aimé, vécu et appris en ces lieux. Il nous faut parfois les quitter en pensant que nous allons grandir, nous élever en d’autres lieux.
Nul besoin d’une DeLorean pour faire un saut dans le temps. Juste un pas de côté au détour d’une rue pour revoir une cage d’escalier, un banc public, un porche d’école et nous voilà, respirant la madeleine à plein nez.
Notre chemin nous l’avons retrouvé facilement pour ne l’avoir jamais quitté des yeux. Celui qui mène à Clamart, en région parisienne, où des tricoteurs arméniens fabriquaient encore près de la moitié des pull-overs français au milieu des années 80.
Rencontre avec les derniers tricoteurs de Clamart
Alex et Noray Agopoglu font partie de notre histoire, celle que nous avons construit autour de machine à tisser. Celle d’immigrés roumains, polonais, arméniens qui traversèrent l’Europe pour fuirent les génocides et la guerre.
Alex, quant à lui, a débuté au milieu des années 90. Quand il arrive c’était déjà la fin. La fin d’une belle époque où il était encore possible de fabriquer en France sans avoir besoin de le clamer haut et fort. Où quantité pouvait aussi rimer avec qualité. Où la traçabilité était assez simple à garantir. Il suffisait de traverser le périphérique parisien. Les derniers artisans toujours en activité aime raconter ce temps à jamais perdu.
À partir de la fin des années 80, mondialisation oblige, la concurrence se fait plus féroce. D’abord venue d’Italie, puis du pourtour méditerranéen et enfin des pays de l’Est. « Dès 1990, les grands acheteurs se sont tournés vers l’étranger. D’abord vers le Maghreb et la Turquie, ensuite vers l’Est, et enfin en Asie.
En 2001, la Chine intègre l’Organisation Mondiale du Commerce. Dès cette adhésion et conformément à l’accord sur le textile et les vêtements, on lève les quotas à l’importation. « Cela a tué la filière en France », regrette Alex.
« L’Inde et la Chine sont devenues l’usine du monde. »
Le savoir-faire des tricoteurs arméniens a donc disparu au gré des délocalisations.
Sur les portants, derrière leur bureau, se cache un trésor : des centaines de jeux de point, de mailles vintage. Le fruit de quelques décennies de travail et de recherches.
Alex et son frère Noray restent des programmateurs de génie. Ils ont suivi au fil des années l’évolution de leurs machines Stoll. Vissés devant leurs écrans, ils composent leurs programmes sur d’interminables grilles de mailles. Ils posent des crochets, des reports, des charges. Il y a autant de possibilités d’interpréter le tricotage d’une torsade que de jouer une fugue de Bach. Leur interprétation en font des artistes qui s’ignorent.
Notre plus grande fierté est d’avoir pu refaire ce chemin à l’envers, car c’est ici que La Mécanique Du Pull commence.